Paris, 20 novembre 2017
L’annonce de la fermeture du « Dapper » a été vécue avec tristesse. Pour autant, la fondation n’est pas en manque de projets et entend se recentrer sur des actions hors-les-murs. Rencontre avec sa présidente, Christiane Falgayrettes-Leveau.
Après trente ans d’activité et une cinquantaine d’expositions au compteur, le musée de la fondation Dapper a définitivement fermé ses portes le 18 juin dernier. Face à une fréquentation en berne et des coûts de fonctionnement trop conséquents, ce musée privé, célèbre pour sa collection de 6.000 pièces – dont 2.000 en provenance d’Afrique, d’Océanie et des Caraïbes –, s’est vu contraint à la fermeture. « Les frais de maintenance étaient trop élevés, sans parler du coût de réalisation des expositions à proprement parler, explique Christiane Falgayrettes-Leveau, présidente de la fondation Dapper. Mais l’autre raison, tout aussi importante, est que nous souhaitions nous renouveler ».
Créée en 1983 avec son époux Michel Leveau, décédé en 2012, la fondation Dapper s’était dotée d’un musée à Paris dès 1986 pour exposer la collection qui allait faire sa réputation et ouvrir la connaissance du patrimoine culturel subsaharien à un public alors peu familier des arts classiques d’Afrique. Quittant son hôtel particulier de l’avenue Victor-Hugo en 2000, le musée s’était installé dans un nouvel espace plus vaste rue Paul Valéry dans le XVIe arrondissement pour accueillir des expositions mais aussi de la musique, de la danse et même du cinéma. « Avec 1.800 mètres carrés comprenant une salle de spectacle et une salle d’exposition, le bâtiment était devenu un équipement très lourd à gérer », déplore Christiane Falgayrettes-Leveau.
Charges trop élevées, bâtiment inadapté, stagnation de la fréquentation autour des 60.000 visiteurs… Le « Dapper » est victime du syndrome de ces musées privés dépourvus de subventions publiques qui ne s’équilibrent qu’au moyen de leur billetterie et d’une lourde quête de mécènes. Dernier cas en date : la Maison rouge, devenue en quelques années un lieu hype de la vie culturelle parisienne et dont le fondateur, Antoine de Galbert, a annoncé la fermeture pour 2018. « La notoriété de la Maison rouge est devenue telle que certains l’assimilent à un service public ou à une institution, alors qu’elle est un centre d’art privé, subventionné par une fondation reconnue d’utilité publique […] qui fonctionne grâce aux revenus de sa dotation inaliénable ou d’autres donations », déclarait-il lors de l’annonce de la fermeture prochaine du lieu, précisant que cette fermeture n’était qu’une « réorientation » des activités de sa fondation. Plus discrètement, le musée Mendjisky-Écoles de Paris a lui aussi été contraint de fermer ses portes fin 2016 après seulement deux ans d’existence. Malgré une programmation exigeante, cet élégant musée privé installé dans un atelier d’artiste Art déco conçu en 1932 par Robert Mallet-Stevens n’a pu faire face au coût prohibitif du loyer et au manque de recettes.
Se réinventer hors-les-murs
Pour la présidente de la fondation Dapper, les questions économiques ne sont pourtant qu’une raison parmi d’autres. Selon elle, ce sont plutôt les transformations de l’offre culturelle et de son environnement ces trente dernières années qui ont contraint les dirigeants du musée à repenser son rapport au public. « Une institution doit innover, exposer autrement, trouver de nouvelles idées. Je reste très attachée aux arts anciens, mais je m’intéresse aussi à l’art contemporain. Or, ce lieu ne convenait pas. Ses salles n’étaient pas assez grandes, il n’y avait pas assez de recul ou de hauteur sous plafond… Et puis, la question du public s’est posée. Même si le musée proposait des expositions liées à l’art contemporain, on ne pouvait pas prétendre à une régularité de programmation comme à Beaubourg ou à la Fondation Vuitton ». Comme prélude à l’ultime exposition du musée, « Chefs-d’œuvre d’Afrique », les œuvres contemporaines de l’artiste sénégalais Soly Cissé faisaient ainsi écho aux pièces africaines classiques.
Désormais nomade, la collection de la fondation Dapper poursuivra sa politique de prêt aux institutions – notamment pour l’exposition « Forêts natales » au musée du quai Branly en octobre prochain – mais s’exposera surtout hors-les-murs à l’international. Coup d’envoi de cette nouvelle stratégie curatoriale : janvier 2018 en Martinique avec une exposition mêlant art ancien et art contemporain à la fondation Clément, en attendant le Off de la Biennale d’art contemporain de Dakar que la fondation va organiser sur l’île de Gorée au Sénégal à partir du mois de mai. L’ambition de sa présidente ? Faire dialoguer les cultures de la diaspora africaine.
3 questions à Christiane Falgayrettes-Leveau
-Avec cette collection désormais « nomade », quelle sera votre approche curatoriale ?
C. F-L: Maintenant, je vais habiter chez les autres. Et c’est très stimulant ! Au bout de trente ans, monter des expositions devait continuer à m’apporter une forme de satisfaction intellectuelle. En ce sens, faire dialoguer art ancien et art contemporain est ce qui m’intéresse le plus. Ce sera l’idée de notre première exposition, qui sera accueillie à partir de janvier 2018 par la Fondation Clément, un très beau lieu d’art contemporain en Martinique où Beaubourg a, par exemple, exposé sa rétrospective Hervé Télémaque. Pour cet événement qui va durer trois mois, nous allons regrouper une centaine d’œuvres d’art ancien et une trentaine d’œuvres contemporaines. Cette nouvelle manière de travailler va nous permettre de renouveler les collaborations, d’être confrontés à d’autres regards, d’autres exigences, d’autres publics. Bref, nous éviter de tourner en rond dans notre petit monde. Il est évident que le public caribéen n’est pas le public parisien, il n’est pas sollicité par la même densité d’offres, il a d’autres attentes. Même si cette exposition va revêtir une dimension internationale, il sera très intéressant de nous demander ce que nous allons montrer à ce public et comment nous allons le faire.
-Envisagez-vous de faire appel à des innovations technologiques, pour faire découvrir votre collection « hors-les-murs » ?
C. F-L: C’est, en effet, une question que l’on se pose avec mes collaborateurs, surtout avec les plus jeunes. Dans un premier temps, déjà, nous allons refaire notre site. Mais je dois avouer que j’ai bien davantage le goût du contact avec l’objet et de l’échange direct avec l’artiste. Par contre, je m’intéresse à d’autres formes de monstration, comme les interventions dans l’espace public. C’est une démarche que j’ai initiée sur l’île de Gorée, au large de Dakar au Sénégal, avec des artistes en résidence. Travailler en plein air, en contact direct avec la population est très stimulant. Ces publics ne rentreraient pas dans un musée ou n’iraient pas voir une biennale. Quand on met l’art dans la rue, les gens s’arrêtent, regardent, s’interrogent. C’est une pratique qui nous interpelle, dans son rapport à la culture, à l’identité. En mai 2018, nous allons organiser le Off de la Biennale d’art contemporain de Dakar à Gorée avec différents artistes. Je me suis entourée de curateurs et curatrices invités qui connaissent bien cet art et qui vont apporter de la fraîcheur, car j’ai besoin d’autres regards pour avancer dans mes choix.
-Comment voyez-vous l’avenir de votre collection ?
C. F-L: En ce moment, nous sommes en train de refaire notre inventaire. Bien entendu, cette collection n’est pas constituée que de chefs-d’œuvre, mais elle abrite certaines pièces majeures. Elles vont voyager à l’étranger, car de nombreuses personnes ou institutions internationales ont envie de les découvrir, ou de les revoir. Auparavant, avec le musée, nous ne voyagions pratiquement pas, puisque les expositions étaient montrées chez nous. Nous sommes du coup très surpris par le nombre de sollicitations reçues depuis notre fermeture. Par contre, je ne souhaite pas mobiliser une partie de la collection de manière permanente dans un autre musée, bien que nous ayons déjà reçu plusieurs propositions qui vont dans ce sens. Ce qui ne nous empêche pas de poursuivre les prêts. Pour l’exposition « Forêts natales » montée par Yves Le Fur au musée du quai Branly-Jacques Chirac, nous prêtons cinquante œuvres – ce qui n’est pas rien –, car la fondation Dapper possède des pièces incontournables provenant de cette aire culturelle. Mon objectif prioritaire reste clairement de monter des expositions et de travailler, par exemple, avec les communautés d’afro-descendants aux États-Unis, dans la Caraïbe (sic) ou au Brésil. J’ai toujours aimé les regards croisés. Quelle que soit leur qualité, ces objets issus de cultures orales ont une grande puissance narrative, ils sont là pour dire, pour raconter. Cette lecture me vient peut-être aussi de ma formation littéraire… Les faire dialoguer avec d’autres cultures ou expressions était mon souhait aux origines de la fondation et c’est ce que je veux continuer à montrer.