Paris, 18 janvier 2020
La passion pour les arts premiers est éminemment contagieuse. Dans la famille Schoffel, on en sait quelque chose : sise depuis 1994 au 14 rue Guénégaud, dans le sixième arrondissement de Paris, la galerie éponyme perpétue une tradition de plus d’un demi-siècle, initiée par le père, Alain Schoffel, atteint dès son plus jeune âge par le virus de la collection, puis par celui du commerce.
« Je crois qu’il ne s’est jamais imaginé faire une autre activité. Dès l’âge de dix ans, il s’est intéressé aux arts premiers, d’abord à travers les flèches des indiens d’Amérique ! À peine adolescent, il courait les musées et il avait tout juste 25 ans quand, en 1969, il a ouvert sa galerie, rue de Seine. Pour lui, c’était une nécessité, ce n’est pas vraiment explicable. Et il a évidemment transmis cette passion à ma mère », raconte sa fille, Judith Schoffel de Fabry. Quand le couple se sépare, Christine Valluet ouvre d’ailleurs sa propre galerie, rue de Lille, et c’est à cette enseigne et aux côtés de sa mère que la jeune femme va embrasser la carrière d’antiquaire spécialisé. « Pour moi, ça n’a pas été tout de suite logique ; quand on est adolescent, on ne veut surtout pas faire comme ses parents. Mais je dois bien reconnaître que le domaine m’a rattrapée et que je n’ai pas opposé beaucoup de résistance », souligne celle qui, avec son mari Christophe de Fabry, dirige depuis maintenant une quinzaine d’années la galerie familiale, transférée rue Guénégaud.
L’enseigne jouit d’une solide réputation dans tous les domaines des arts premiers et plusieurs grandes institutions ont fait appel à ses services pour compléter leurs collections, comme la Fondation Dapper, le Musée du Quai Branly, le Louvre ou, plus récemment, le Louvre Abu Dhabi. Son expertise sur la Côte d’Ivoire est particulièrement appréciée des collectionneurs depuis la parution, en 2012, dans le prolongement d’une exposition, du livre référence Côte d’Ivoire – Premiers regards sur la sculpture : 1850-1935. L’ouvrage a été récompensé l’année suivante par le prix du meilleur livre d’art tribal. Historiquement, la galerie est aussi spécialisée dans les arts d’Asie du Sud-Est, notamment d’Indonésie et des Philippines, où Alain Schoffel a fait de nombreux voyages, souvent en famille. « J’ai dû y aller pour la première fois à l’âge de 10 ans, se souvient Judith. Cette spécialité nous permet de nous démarquer de nos confrères concentrés sur les arts d’Océanie, d’Afrique et d’Amérique. »
Sous sa direction, la galerie Schoffel de Fabry a organisé plusieurs grandes expositions thématiques, dans ses propres locaux ou hors les murs, en partenariat avec d’autres institutions, comme « Clair-Obsur » (photos de Jean-François Chavanne) en 2008 et, la même année, « Jackson Pollock et le chamanisme » à la Pinacothèque de Paris, « Art de l’Asie du Sud-Est » en 2010, « Retour d’expédition » au Musée de la chasse & de la nature en 2012, « La vie dévoilée d’une œuvre d’art de Bornéo » en 2013, « Objets témoins d’expéditions au temps de la marine à voile » en 2016 ou encore « Au-delà du Masque », présentée aussi cette année-là dans le cadre du Parcours des mondes. « Élaborer ce genre d’expositions et les livres qui les accompagnent nous demande plusieurs années de travail », précise la responsable de la galerie, qui planche actuellement sur deux nouveaux projets autour de l’Afrique.
Ces dernières années, l’enseigne de la rue Guénégaud a également ouvert ses portes à l’art contemporain, sous l’appellation « Arsenic Galerie ». « La première exposition s’appelait justement “Les Primitifs Contemporains”. À travers cette activité, on veut donner à voir des œuvres très éloignées du politiquement correct, pour faire bouger les lignes, mettre un coup de pied dans la fourmilière, explique la galeriste. En son temps, mon père l’avait fait aussi, dans les années 1970, mais il n’a pas continué. On reçoit un public spécifique pour ces expos, mais aussi des amateurs d’arts premiers qui, même s’ils sont un peu déroutés, commencent à apprécier la démarche. » Chez Schoffel de Fabry, l’artiste française d’origine italienne Yveline Tropea, qui travaille depuis plusieurs années au Burkina Faso avec des brodeuses et enfileuses de perles traditionnelles, fait en quelque sorte le lien entre les arts primitifs et la création contemporaine.
Du 26 janvier au 2 février, la galerie parisienne participe à la BRAFA, sur le stand 48A. Parmi la trentaine de pièces qu’elle emporte à Bruxelles, une maternité Anyi des régions lagunaires de Côte d’Ivoire, un masque Dan représentant une tête de singe et un Kinnara mi-homme-mi-oiseau d’inspiration bouddhiste, originaire de Bornéo et datant du IIe ou IIIe siècle, devraient tout particulièrement intéresser les amateurs. Au sein de la foire, Judith Schoffel de Fabry retrouvera son frère, Serge Schoffel, lui aussi antiquaire spécialisé dans l’art tribal, installé dans la capitale belge. La contagion a gagné toute la famille.